Six profils de pratiques sur Facebook

Le premier résultat original de l’enquête Algopol invite à relativiser l’idée que sur Facebook, les utilisateurs se préocuppent principalement de construire leur réputation sur leur page personnelle. En fait, beaucoup d’inscrits sur Facebook ne publient pas grand chose sur leur propre page et un nombre important d’entre eux consacre plus de temps à écrire et converser sur la page des autres que sur la leur. Il en ressort trois grands types de comportements de la part des usagers. Certains publient des informations en privilégiant leur page de profil ; d’autres publient beaucoup de conversations directement sur les pages de leurs amis ; enfin, une partie des utilisateurs publient très peu de choses tant sur leur propre page que sur la page des autres. L’analyse de l’activité de 12.694 comptes Facebook nous a permis de construire une typologie distinguant six types d’utilisations de la plateforme (cf. tableau ci-dessous) qui décompose chacun de trois logiques d’utilisation (publier chez soi, publier chez les autres, regarder sans publier) en deux types de profil.

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Publier chez soi

Le premier groupe de profils distingue deux types d’utilisateurs qui ont pour caractéristique de publier d’abord, et principalement, sur leur propre page. Proche de la représentation commune qui est faite des utilisations de Facebook, les Ego-visibles et les Ego-centrés concentrent la discussion sur leur propre page et ne la déplace guère sur les pages de leurs amis ou dans des groupes. Ils se distinguent cependant les uns des autres par le volume de leurs activités. Alors qu’un petit nombre d’Ego-visibles affiche un volume d’activités considérable, et sans équivalent avec le reste de l’échantillon, les Ego-centrés témoignent d’une activité deux fois moins importante – même si elle est supérieure à celle de toutes les autres classes de cette typologie.

Ego-Visible

Ce groupe de 324 individus (3% de l’échantillon) constitue la micro-élite de notre corpus d’utilisateurs de Facebook. Pour la plupart des indicateurs d’activités, il cumule tous les records et se distingue significativement de tous les autres utilisateurs. Ses membres ont cinq fois plus de publications par an que la médiane de l’échantillon (1535 contre 284) ; ils  ont trois fois plus d’amis (960 contre 369) ; ils commentent trois fois plus, likent six fois plus et partagent quinze fois plus de liens que les autres. Cette intense activité presque entièrement consacrée à mettre en scène leurs publications sur leur propre page contribue à leur assurer une très grande visibilité. Celle-ci se révèle par l’importance des Likes et des commentaires qu’ils reçoivent des autres. Ainsi reçoivent-ils 8 fois plus de likes et 13 fois plus de commentaires que la médiane de l’échantillon.

Il est frappant de constater que c’est souvent le comportement en ligne de cette toute petite proportion des utilisateurs de Facebook qui nourrit les représentations dominantes que nous avons des pratiques de Facebook : publication intensive, focalisation sur la construction de sa personnalité numérique, quête de reconnaissance, course au nombre d’amis et construction d’une e-reputation. Ces comportements sont incontestablement associés à l’usage intensif de la plateforme de Mark Zuckerberg et sont identifiables dans notre enquête. Mais il faut aussi souligner que ces utilisateurs ne représentent que 3% de l’échantillon (échantillon global et échantillon CSA) et se séparent nettement des comportements que nous allons maintenant observer dans les 5 autres types d’utilisation de Facebook. Notre enquête vient relativiser cette image très partielle des usages de Facebook que l’on a souvent tendance à généraliser à l’ensemble de ses pratiquants.

Ce type de pratique renvoie à une sociologie particulière des utilisateurs qui est propre aux “gros comptes” des individus, que ce soit ceux qui consacrent un temps très important à Facebook, ou ceux qui disposent d’un capital social important et usent de la plateforme pour façonner et augmenter leur visibilité. Il est caractéristique d’observer que les égo-visibles correspondent au groupe le plus âgé de notre échantillon (42 ans). Légèrement plus féminin, on constate une sur-représentation des Chefs d’entreprise, des chômeurs, ainsi que des ouvriers et employé(e)s.

Ego-Centré

Beaucoup plus volumineux (1512 enquêtés, soit 12% de l’échantillon), le groupe des enquêtés égo-centrés se caractérise, lui aussi, par une polarisation très forte des publications d’égo sur sa propre page et son peu d’intérêt pour aller écrire ou commenter les pages des autres. Même si l’intensité de leur activité sur Facebook est deux fois moins importante que celle des Ego-visibles, ils publient cependant beaucoup plus d’informations que les autres classes de cette typologie et utilisent pour cela tous les moyens que leur donne Facebook : publications de statuts, de liens et de photos. L’âge médian de ce groupe est supérieur à celui de notre échantillon (29 ans contre 26) et il regroupe proportionnellement plus de Chefs d’entreprise et de chômeurs ayant un nombre d’amis très supérieur à la médiane de notre échantillon (466 contre 272).

 Publier ailleurs

Un deuxième groupe de profils se caractérise par le fait que les utilisateurs publient beaucoup moins sur leur page que sur celles des autres. Ce décentrement souligne le caractère fortement conversationnel des usages de Facebook. La communication ne commence pas par un énoncé affiché depuis sa page et adressé indifféremment à l’ensemble de ses amis, mais par une interpellation que l’utilisateur va déposer sur la page d’un de ses amis ou au sein d’un groupe d’utilisateurs de Facebook. La publication n’y est donc pas tant une parade proférée à la cantonade et adressée à l’ensemble du réseau, qu’une suite d’interpellations ou de commentaires s’insérant dans la conversation des autres. Poursuivant sur un autre type d’interface un mode d’échange qui ressemble beaucoup à la conversation interpersonnelle de l’instant messaging, du chat et des listes de discussion, les utilisateurs se déplacent dans le périmètre dessiné par les pages de leur amis pour dire un mot, montrer un photo, placer un lien ou commenter les échanges. Les deux classes d’enquêtés qui caractérisent ce groupe ont pour caractéristique d’être jeune (23 ans) et de réunir des réseaux d’amis très connectés entre eux. Le paradoxe veut que ce sont les jeunes souvent accusés de narcissisme sur les réseaux sociaux qui semblent les moins enclins à privilégier leur propre page comme principal support d’expression. Les profils plus âgés développent eux un rapport beaucoup plus égo-centré à Facebook en concentrant leurs expressions sur leur propre page.

Conversation distribuée

Le premier type caractéristique de cette configuration réunit les nombreux enquêtés (2578, soit 20% de l’échantillon) pratiquant la Conversation distribuée. Ce groupe d’enquêtés plus actifs que la médiane de l’échantillon se caractérise par le fait qu’au lieu de publier sur leur propre page, les utilisateurs passent leur temps à écrire et commenter la page des autres et que, en retour, ils reçoivent sur leur page beaucoup de publications et de commentaires des autres. A travers une sorte de jeu croisé de publications qui se distribuent chez tel ou tel, les conversations sont déplacées par les utilisateurs et circulent de pages en pages. Ce mode de communication est une caractéristique des formes juvéniles de la conversation de clans et de bandes. Parmi les différentes classes de cette typologie, c’est la conversation distribuée qui marque le plus fortement une dominante féminine et qui réunit les praticiens les plus jeunes (médiane : 23 ans). Cette enquête ne permet pas de mesurer l’importance des conversations interpersonnelles par chat qui rassemblent un volume important d’activités sur Facebook. Mais il est probable que c’est dans cette classe d’utilisateurs que se réunissent les utilisateurs les plus intensifs de l’instant messaging de Facebook – pour des raisons de protection de la vie personnelle, nous n’avons pas accès à ces informations sur le volume des messages privés que les utilisateurs s’échangent via la messagerie de la plate-forme.

Conversation de groupe

Un autre groupe rassemblant 997 individus (8% de l’échantillon) présente une structure d’activité assez proche, mais se caractérise très spécifiquement par le fait qu’une grande partie des conversations n’ont pas lieu sur la page d’un ami identifié, mais au sein de groupes Facebook. Elles acquièrent donc un caractère collectif. L’utilisateur ne parlent pas, ou ne commentent pas, un de ses amis, mais s’adressent explicitement à un groupe de personnes partageant quelque chose en commun. Les propos sont destinés aux groupes que les utilisateurs, notamment jeunes, ont pris l’habitude de constituer pour regrouper les membres d’une classe, d’une bande, d’un clan ou d’un club. Avant une enquête plus approfondie, il semble que même s’il existe de nombreux groupes thématiques spécialisés sur Facebook (fan de motos, d’art, de dessin, etc.), ces communications semblent d’abord être destinées à des groupes d’interconnaissance parfois très étroite : bande d’amis, groupe de copines, collègues, classes, etc. L’objet de ces conversations de groupe est souvent de préparer une sortie, une fête ou des vacances et beaucoup de publications sont ensuite consacrées à se raconter collectivement la sortie, la fête ou les vacances avant de préparer les suivantes. Cette classe d’enquêtés est jeune (médiane 23 ans) et révèle une forte composante masculine qui la distingue des conversation distribuée à coloration fortement féminine.

 Regarder sans publier

Réunissant de loin le nombre le plus important d’enquêtés (58% de notre échantillon ; 68% de l’échantillon représentatif des utilisateurs de Facebook du CSA), le troisième groupe de profils se caractérise par le fait que les utilisateurs ne publient guère sur leur page ou sur celle des autres, mais utilisent plutôt leur compte comme un moyen de garder le contact avec ceux qui publient, observer leurs interactions et, pour certains, partager quelques liens hypertextes. Pour ces utilisateurs, Facebook n’est pas l’instrument actif de l’expression et de la mise en scène de soi, mais une fenêtre ouverte sur leur réseau relationnel permettant de naviguer et d’observer les interactions de leurs proches. A la différence des utilisations actives de Facebook observées dans les quatre premières classes de cette typologie, les deux dernières classes montrent des utilisations passives de Facebook. Cette passivité ne signifie pas que les utilisateurs ne se rendent pas régulièrement sur Facebook, et qu’ils n’y passent pas beaucoup de temps, mais ils le font moins pour s’exprimer que pour regarder et suivre ce qui s’y dit et passe. Comme tous les réseaux sociaux de l’internet, on associe toujours Facebook à la culture de l’expressivité et d’une active mise en scène de soi. Les résultats de cette enquête montre que les réseaux sociaux sont aussi utilisés comme un outil, plutôt passif, de navigation, d’observation et de lecture qui n’oblige pas à une activité de publication – cet usage “passif” est plus important encore sur Twitter.

Partageur

Un premier groupe d’utilisateurs (3646 enquêtés, soit 29% de l’échantillon) présente un faible taux de publications (170 par an contre 284 pour la médiane de l’échantillon), mais en revanche se manifeste par un nombre non négligeable de Likes, de commentaires et de partages de liens. Ce groupe de Partageurs présente donc un profil singulier usant de Facebook comme un outil pour suivre l’activité des autres de façon plutôt spectatoriale, mais distribuant aussi des Likes et partageant des liens. Ces profils à dominante masculine révèlent donc une position de regardeur actif n’hésitant pas à apprécier et à relayer les informations qui les intéressent. Bien que de manière très nettement inférieur aux Ego-centrés et aux Ego-visibles, ils partagent quelques liens.

Spectateur

Un dernier groupe rassemble un nombre très important d’utilisateurs (3637, soit 29% de l’échantillon) au très faible volume de publication. Ce groupe relativement jeune (mais probablement du fait de la structure de l’échantillon) présente des caractéristiques particulières. Tout se passe comme si leur compte Facebook était inactif ou très peu actif. Ils ne publient guère sur leur mur, sur celui des autres ou dans des groupes. La principale activité de leur compte sont les messages d’anniversaire qu’ils reçoivent chaque année sur leur profil qu’ils commentent mollement. Ces enquêtés ont pourtant un nombre d’amis égal à la moyenne de l’échantillon, ont un compte depuis longtemps et publient occasionnellement – ce qui montre qu’ils n’ont pas abandonné leur compte et que celui-ci sert au moins de fenêtre pour naviguer et observer la vie de leur réseau relationnel. Comme pour les conversations distribuées, on peut faire l’hypothèse qu’une partie de leurs activités réelles sur Facebook n’est pas enregistrée dans notre enquête et se déploie dans la communication interpersonnelle du chat.

 

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