Le web vu depuis Facebook
Irène Bastard (Télécom ParisTech), Dominique Cardon (Orange & Université Paris-Est Marne-la-Vallée), Raphaël Charbey (Université Paris-Diderot), Jean-Philippe Cointet (CNRS), Baptiste Fontaine (Université Paris-Diderot), Christophe Prieur (Université Paris-Diderot) et Stephane Raux (Linkfluence).
On parle beaucoup et souvent des usages de Facebook comme si d’évidence, puisque nous l’utilisons, nous savions aussi comment les autres le font. Il y a pourtant grand intérêt à décaler le regard pour observer, au delà de nos propres usages, ce que font vraiment les utilisateurs sur Facebook. Cette enquête présente l’intérêt de mettre à jour l’activité réelle des utilisateurs plutôt que les déclarations qu’ils font auprès d’un enquêteur. Les études déclaratives se sont en effet beaucoup intéressées à ce que les gens disent et montrent d’eux-mêmes sur Facebook. Elles insistent sur les phénomènes d’exposition de soi, sur les risques pris par les utilisateurs avec leurs données personnelles. Elles soulignent souvent la quête de reconnaissance et la constitution d’un capital de réputation de la part des utilisateurs. Bref, elles dessinent la figure d’un utilisateur “individualisé”, agissant et expressif. Si notre enquête rencontre bien cette figure, son principal intérêt est d’en relativiser l’importance en faisant apparaître d’autres configurations d’usage qui révèlent d’autres manières d’utiliser et de se comporter sur Facebook.
Exemple du réseau d’amis Facebook d’un enquêté, par l’application Algopol:
Les premiers résultats de l’enquête Algopol montrent la très grande diversité des pratiques qu’écrase souvent l’image univoque et dominante d’un internaute égocentré en quête de réputation. Facebook ne sert pas uniquement, et somme toute pour peu de personnes, à se montrer et à capitaliser de la réputation. Non seulement, sa principale utilisation est la conversation, mais une partie importante des enquêtés utilisent beaucoup plus Facebook pour regarder et partager les liens des autres, sans être, eux-mêmes, très actifs sur leur propre page.
- La description générale montrant la diversité des pratiques
- Les six profils d’usage identifiés dans l’échantillon
- La carte des partages, qui montre le web vu des enquêtés à partir des liens partagés
Ces résultats préliminaires seront actualisés avec le recrutement de nouveaux enquêtés, et complétés avec les travaux de recherche de l’équipe Algopol sur l’analyse des réseaux sociaux et avec des entretiens qualitatifs permettant d’expliciter le sens donné aux pratiques.
L’échantillon de l’enquête ALGOPOL
L’originalité méthodologique de l’enquête ALGOPOL est de partir de l’activité réelle des praticiens de Facebook. Cette démarche nécessite de recueillir le consentement des utilisateurs et de respecter leurs droits en matière de protection des données personnelles, ce pour quoi le projet Algopol a été accompagné par la CNIL. Le recrutement des enquêtés se fait en restituant aux participants la visualisation de leur réseau d’amis Facebook, objet formalisé par les sociologues bien avant la naissance du web et de ses réseaux numériques, mais rarement présenté aux enquêtés eux-mêmes.
En février 2015, l’échantillon réunit par Algopol rassemble 12.694 utilisateurs de Facebook ayant accepté de participer à l’enquête. Si le nombre d’enquêtés est très imposant, cet échantillon n’est pourtant en rien représentatif des utilisateurs de Facebook. La diffusion de l’enquête sur Internet via les réseaux sociaux, et initiée par un article en ligne du journal Le monde, a contribué à donner une coloration très particulière à notre échantillon : il est très masculin (69%), très jeune (42% de moins de 25 ans) et les catégories socioprofessionnelles supérieures y sont sur-représentées (23% de cadres, professions libérales et intellectuelles). La structure déformée de cet échantillon a des conséquences importantes sur la nature des données recueillies. Elle valorise fortement des utilisateurs très actifs, ayant un nombre d’amis supérieur à la normale et développant un intérêt pour l’information et pour les technologies beaucoup plus important que la moyenne. Afin de mesurer les effets de ces déformations, nous avons réuni grâce au concours généreux de l’Institut CSA un échantillon de 826 utilisateurs représentatif des utilisateurs ordinaires de Facebook. Cet échantillon témoin permet de contraster la présentation de certains résultats. Il importe donc de retenir que, alors que cette enquête montre l’importance des comptes peu actifs et des usages intermittents et limités de Facebook, il est probable que la réalité des usages ordinaires de Facebook amplifie plus fortement encore ces tendances.
Participer au projet et voir la carte de votre réseau d’amis Facebook avec l’application Algopol :